La chanson de Prades

Le 30 août 1814, une chasse faite à un veau qui fut pris pour un ours, donna lieu à une chanson en patois ancien, sur l’air de l’hymne national français du second empire Partant pour la Syrie.

L’auteur de cette chanson est resté anonyme. Ses vers ont la verve gauloise et sont attribués à Jean Portes, dit Mailly, ancien séminariste, décédé à l’Ourza (commune de Prades) en juillet 1876 à l’âge de 84 ans.

Ecoutez les enregistrement audio des neufs premiers couplets du texte en occitan.

Ci-dessous le texte en occitan de l’époque, accompagné de sa traduction en français.

I

La cassa singulièra
Feita dins le cantou
Fournira la matièra
Per fé uno cansou.
Bous baou counta l’affairé
Tal qué n’es arribat,
La téni d’u cassairé
Qué m’a dit la bertat. (bis)

I

La chasse singulière
Faite dans le canton
Fournira la matière
Pour faire une chanson.
Je vais vous conter l’affaire
Comme elle m’est arrivée,
Je la tiens d’un chasseur
Qui m’a dit la vérité

II

Al temps qué la cibadès
Soun prestès à séga,
Moussu le Gat1 de Pradès
Sul tard ba s’espanta.
Quitta sul cop l’oubratgé
Courric cerca sécours,
An disen pel bilatgé
Qu’abio bist un bel ours. (bis)

II

Aux temps où les avoines
Sont prêtes à moissonner,
Monsieur le Gat de Prades
A la tombée de la nuit va se faire peur.
Il quitte se qu’il faisait
Il va chercher du secours,
En disant dans tout le village
Qu’il avait vu un bel ours.

 

III

Mès una tala alarma
S’empara des esprits,
Et sul cop, cadun s’arma
Aoutant grans qué pétits,
L’un pren una picassa,
L’aoutré, dé pistoulets,
L’aoutré, fusils dé cassa,
Coutels et estillets. (bis)

III

Mais une telle alarme
s’empare des esprits
Sur le coup, tout le monde s’arme
Autant les grands que les petits
L’un prend une hache
L’autre un pistolet
L’autre un fusil de chasse
 
Couteaux et tranchants.

IV

Armats de tela sorta
Per tua l’animal,
Lé Gat, d’una boux forta
Dits qué cal un fanal,
Sapiats qué s’y cal bézé
Per poudé l’ajusta,
N’espargnets pas le blézé2
Ni l’oli qué caldra. (bis)

IV

Armés de telle sorte
Pour tuer l’animal
Le Gat, d’une voix forte
Dit qu’il faut un drapeau,
Sachez qu’il faut le voir
Pour pouvoir le tuer,
N’économisez ni la mèche
ni l’huile qu’il faudra.

V

Né faou batré la caïcha
Marchen bers l’animal,
Boulen qué dé sa graïcha
Sio feit partatgé égal.
L’ours bésen la lumièra
Fa un mugissoment,
Et la troupa guerrièra
Fugic coumo le bent. (bis)

V

Ils font battre le tambour
Marchent vers l’animal
Voulant que de sa graisse
Il soit fait partage égal.
L’ours, voyant la lumière
Fait un mugissement,
Et la troupe guerrière
Fuit comme le vent.

VI

Arriban al bilatgé
Eren presqué sans pouls,
Péladis del bizatgé,
De las mas, des dounouls,
Plusiurs an uno estorta
Per abé tan fugit,
Cal qué banguen per forsa
A Malléou3 per gari. (bis)

VI

Arrivant au village
Ils étaient tous essoufflés
Pelés du visage
Des mains, des genoux,
Plusieurs faisaient un groupe
Pour être partis si vite
qu’il faudrait qu’ils aillent
à Malléou se faire faire un vêtement.

VII

Rébenguts dé lour fraisa,
Tournen per l’attaqua
Allumen brocs dé tésa4
Per milhou l’ajusta
Mais qualqué boun cassaïré
An bésen l’animal
L’ajusta, lé fa caïré
Aoutant retté qu’un pal. (bis)

VII

Remis de leur frayeur
Il allèrent de nouveau l’attaquer
Ils allumèrent des brindilles
Pour mieux le viser
Mais un bon chasseur
En voyant l’animal
Le visa, le fit tomber
Aussi raide qu’un piquet.

VIII

Criden d’uno boux forta
A la mort ! A la mort !
Et plusiurs de l’escorta
S’approucheguen d’abort.
Qu’aben feit camarades
S’en riran as entours,
D’abé tuat à Pradès
Un bedel per un ours ! (bis)

VIII

Ils ont crié d’une voix forte
A la mort ! A la mort !
Et plusieurs du groupe
S’approchèrent d’abord.
Qu’avons-nous fait camarades ?
Ils en riront aux alentours
D’avoir tué à Prades
Un veau pour un ours !

IX

Après tala bestiesa,
On pot lour reproucha
Qué pareilla soutisa
Sé déou pas perdouna.
Cal abé la berluga,
Més tout lé mounde sap
Qu’un bedel a de couga
Et qu’un ours n’a pas cap. (bis)

IX

Après une telle bêtise,
On peut leur reprocher
Que pareille sottise
Ne doit pas être pardonnée.
Il faut avoir l’esprit troublé
Mais tout le monde sait
Qu’un veau a une queue
Et qu’un ours n’en a pas.

X

Déciden sur la plassa
De le teni catchat
D’ana toutis en massa,
Prega l’aoutoritat
De fairé fé la crida,
Per nous pas diré un mot,
Sus pena dé la bida,
Et paga tout l’escot. (bis)

X

Ils décident sur la place
De le tenir caché
D’aller tous ensemble
Prier l’autorité
De faire la publication
Pour ne pas dire un mot
Sous peine de mort
Et de payer tous les frais

XI

Dins touto la Gascougna
Aquel brut a courrit
S’amaguen dé bergougna
Et cercen qui aou a dit
Bourdéous et Carcassouna
Perpigna ou an saput
A Beziès, A Narbouna
Le fet es counegut. (bis)

XI

Dans toute la Gascogne
La rumeur a couru
Ils se cachent de honte
Et cherchent qui a parlé
Bordeaux et Carcassonne
Perpignan ont tous su
A Béziers, à Narbonne
Le fait est connu.

XII

Tout lé moundé s’empressa
Dé boulé greicha d’ours
Né demanden sans cessa
De toutis les entours
De pertout lour escriben
Jusquo de Mountréal
Per sabé quant estimen
La pel de l’animal. (bis)

XII

Tout le monde s’empresse
De vouloir la graisse d’ours
Ils en demandent sans cesse
Aux alentours
De partout on leur écrit
Jusqu’à Montréal
Pour savoir combien coûte
La peau de l’animal.

XIII

S’aou mes per la cerbello
Qu’ero un pharmacien
Qu’agissen ambé zélo
Ou a feit sabé pla lein,
Per tala foutralisa
Aou pres un arrestat :
Al cap de sa camisa,
Des pès sira pendjat ! (bis)

XIII

Ils se sont mis en tête
Que c’était un pharmacien
Qui agissant avec zèle
Il l’a fait savoir bien loin
Pour telle foutaise
Ils ont pris un arrêté :
??
Il sera pendu par les pieds

XIV

De bergougno ou de hounto
Parcissen terrassats
La ratjo les surmounto,
Sé jamès youn parlats
Per tout so que s’amassa
Nou aurion pas boulgut
Qu’un tal partit de cassa
Sé fousquese saput (bis)

XIV

De honte
Ils paraissent terrassés
La rage les envahit
Si jamais on leur en parle
Partout ils se rassemblent
Ils n’auraient pas voulu
Qu’une telle partie de chasse
Puisse être connue

XV

Més le Felix del Maira,
Maistré dé l’animal
Transpourtat dé coulèra,
Courrie al tribunal.
Le prourès se coumensa
D’abort es terminat.
Felix per recompensa,
Qrants francs n’a palpat (bis)

XV

Mais Felix le maire
Maître de l’animal
Transporté de colère
Courut au tribunal.
Le procès débuta
et se termina aussitôt
Felix, en préjudice
toucha quarante francs.

XVI

La cassa singulièra
Feita per les Pradens,
A serbit de matièra
Per fé riré las gens
Digus nou creis poussiblé
Qu’aquel fet sio certain.
Es taloment risiblé
Qu’a circulat pla lein ! (bis)

XVI

La chasse singulière
Faite par les Pradéens
A servi de matière
Pour faire rire les gens.
Personne ne croit possible
Qu’un tel fait soit certain.
C’est tellement risible
Qu’il a circulé bien loin.

1 Le Gat (le chat) est le sobriquet patois de Jean Vézia, habitant de Prades.
2 Le blezé  est la mèche de coton pour l’huile de la lampe antique dite lé caleil.
3 Malléou (en français Malléon) est un village du canton de Varilhes, où habitait un rhabilleur renommé, connu dans toute l’Ariège sous le nom d’Adoubaïre dé Malleou.
4 La tésa ou téso se composait d’éclats de tronc de pin sauvage servant à l’éclairage, sous la cheminée des maisons, en guise de torche.